Mardi 24 mai 2016 Moon Harbour, le futur whisky bordelais
par Michel Monteil

Deux Girondins lancent le whisky du port de la Lune, vieilli en fûts de grands vins. Orge et alambics seront locaux. Moon Harbour occupera un ancien bunker à Bordeaux

Yves Médina et Jean-Philippe Ballanger, devant le bunker qui deviendra le siège de Moon Harbour.
© PHoto GuiLLAUME BONNAUD / « Sud Ouest »
L

e carton d'emballage et l'étiquette de la bouteille sont décorés d'une gravure ancienne du port de Bordeaux. Avec des embarcations à voile, des chevaux tractant des carrioles de marchandises sur le plan incliné entre la Garonne et le quai. Témoignage du temps où le commerce bordelais respirait dans le croissant du port de la Lune.

Sur le carton et sur l'étiquette, le lieu s'appelle aujourd'hui Moon Harbour. Il a été anglicisé pour répondre aux codes du commerce moderne mais aussi parce que le produit ambré contenu dans la bouteille ronde et trapue, surnommée « petit sumo », n'est autre qu'un assemblage de whiskys. Moon Harbour est le premier whisky premium blended… de Bordeaux.

Des barriques de sauternes

Une provocation dans un terroir des appellations viticoles ? Yves Médina, dacquois, 50 ans, et Jean-Philippe Ballanger, 52 ans, s'en défendent. « Non, vin et whisky sont complémentaires », précise le second, PDG des célèbres crèmes bordelaises Jock et « amateur de bon vin et de whisky ». Argument supplémentaire : Moon Harbour est vieilli dans des barriques ayant accueilli de grands vins de Bordeaux.

« Nous sommes tous les deux des épicuriens et aimons la vie dans notre région », raconte Yves Médina. Ils se connaissent depuis 1986 et leurs débuts professionnels dans une même entreprise. En dépit des mutations, ils ne se sont jamais perdus de vue. « Il y a trois ans, nous avons eu l'idée de créer un whisky de Bordeaux, dit Jean-Philippe Ballanger, à l'exemple des bières, on assiste en France à un développement de distilleries artisanales de proximité. » On en compte plus de 20.

Un conseiller écossais

La société Moon Harbour a vu le jour au début de 2014. Bons connaisseurs du monde de l'entreprise, les deux associés ont pris leurs précautions : étude du marché, visite de distilleries, rencontre avec des œnologues… Et, pour élaborer leur alcool, ils ont fait le voyage en Écosse à la rencontre de John McDougall, l'un des plus célèbres experts en distillation. En quarante-deux ans, il a dirigé ou conseillé une vingtaine de distilleries, dont une en Californie et une en Bretagne. On lui doit l'élaboration du premier whisky issu d'orge bio.

Dans un premier temps, John McDougall a signé, en Écosse, l'assemblage des whiskies d'orge du futur Moon Harbour. Celui-ci a été mis en vieillissement à Cognac dans des fûts ayant contenu du sauternes. Chaque mois, un échantillon était envoyé au spécialiste pour avis. « Un jour, il nous a dit stop », se souvient Jean-Philippe Ballanger. Moon Harbour avait atteint la personnalité souhaitée avec son « explosion organoleptique » (1) , son « goût doux et rond ».

Ce prototype du futur whisky bordelais est d'ores et déjà en vente chez une douzaine de cavistes girondins et dans plus de 20 restaurants. Ce circuit de distribution sera privilégié quand la production locale sera effective. Moon Harbour se situe dans un créneau premium avec un prix entre 40 et 60 euros.

Le prototype ayant convaincu, Yves Médina et Jean-Philippe Ballanger sont passés à la seconde étape : la création d'une distillerie et du local de vieillissement à Bordeaux. Le siège de Moon Harbour ne sera pas construit : il existe déjà.

Il s'agit d'un bunker édifié en 1943 derrière la Base sous-marine, à Bordeaux, mais n'ayant jamais servi. Le bâtiment aux murs épais (6 mètres), long de 70 mètres, large de 20 mètres, a été loué au Grand Port maritime de Bordeaux. Il accueillera le chai de vieillissement (trois ans au minimum) des barriques.

Orge et alambics girondins

Un peu plus loin, en direction du boulevard Alfred-Daney, seront construites la distillerie et une boutique. Forte de trois générations de fabricants d'alambics sur mesure, la société béglaise Stupfler crée actuellement deux exemplaires en cuivre du précieux outil de distillation d'où la boisson sortira à 45,8 degrés d'alcool.

Le projet représente un investissement total de 3 millions d'euros. Le permis de construire a été obtenu, les travaux débuteront en septembre. D'ores et déjà, un agriculteur de Saint-Jean-d'Illac s'est engagé à fournir l'orge et le maïs.

La première distillation se fera au printemps 2017. Et 20 emplois seront créés au démarrage. Moon Harbour vise une production de 200 000 bouteilles, 15 % de la production sera mise à vieillir dans des fûts. Donc, pour déguster - avec modération - ces bouteilles-là, il faudra attendre 2020.

(1) Qui se rapporte à la sphère sensorielle goût, flaveur, odeur.

Points de vente

En languedoc aussi

Un autre whisky premium de terroir s'affine dans le Grand Sud-Ouest. Il s'appelle Black Mountain, en référence à la m ontagne Noire (Tarn). Depuis 2011, des investisseurs locaux ont un projet de distillerie à 1 000 mètres d'altitude. Le whisky y serait dilué avec de l'eau de la m ontagne Noire, puis vieilli dans des fûts ayant contenu des vins du Languedoc. Des premiers essais ont déjà eu lieu avec un vieillissement en barriques à armagnac, à Gondrin. L'entrée en service de la distillerie Black Mountain (un investissement de 5 M€) est prévue pour 2018.